Cher papa,
De toi je ne connaissais pas grand-chose. On n’a finalement même pas eu le temps de parler de la guerre d’A. ni de celle durant laquelle tu es né, la deuxième guerre mondiale. Sauf une fois, quand j’étais petite, tu m’avais un jour parlé des tickets de rationnement et d’une cave dans laquelle tu allais te réfugier avec ta mère et ton petit frère, ta petite soeur n’était pas encore née, quand il y avait un bombardement sur Paris alors que Papi était prisonnier,
Encore aujourd’hui, je vous imagine tous les 3, mamie avec sa coiffure et ses robes des années 40 et vous 2, petits enfants en culottes courtes.
Culotte courte dont j’ai l’impression que tu l’as gardé toute ta vie. Ton short et tes chaussettes quand tu ne portais pas tes tongs blanches en été.
D’ailleurs, quand j’étais petite, je savais que c’était l’été car les tongs blanches étaient de retour sous le ceriser, à G..
G., ce petit bourg du T. M. où je suis née et qui avait vu la mort de La Boétie quelques siècles auparavant, ce grand auteur qui me poursuit puisque, petite, j’allais à l’école de la Boétie et plus tard j’ai travaillé rue de la Boétie à Paris avant de déménager en Catalogne.
La Catalogne, berceau d’une autre branche de la famille.
Les histoires de toutes les terres où nous avons vécu, toi, moi, les grands parents, les ancêtres, sont toutes imbriquées les unes avec les autres. Et comme je te l’ai dit quand tu étais à l’hopital je suis fière de cette famille et de ses multiples origines. Nous sommes une famille de pionniers et je suis fière d’en être la descendante. J’ai enfin compris pourquoi je veux toujours une meilleure vie pour mes enfants, pour nous. C’est de famille en fait. Le pionnier est tout le temps en quête d’un meilleur, souvent ailleurs. Il défriche le terrain. Je suis fier que tu sois mon père.
Tu n’as jamais trop parlé. Mais heureusement on se retrouvait sur les chemins de grande randonnée. Dans les Pyrénées. Même si c’était en silence. Tu avais toujours un gouter pour moi et tes gestes simples me montraient que tu m’aimais. Heureusement que je t’ai un peu suivi à ce moment-là car ce n’est qu’après l’ascension de mon premier pic à 3000 m d’altitude que j’ai vu de la fierté dans ton regard. Toute ma vie j’ai cherché à te plaire. J’ai fait 7 ans d’études, un double diplôme et selon les années un triple cursus, que ce soit à Bordeaux, à Paris, à NYC ou à San Francisco, j’ai fait tout ça car un jour tu m’avais dit que je n’avais aucune culture générale. J’ai voulu rattraper le temps perdu. C’est toi qui m’as acheté mes premiers pinceaux pour que je prépare le concours des Beaux-Arts. Tu as toujours rattrapé au vol ma chute imminente. Alors même si tu n’as pas dit grand-chose, tu as toujours agi, même au dernier moment. Et toujours en silence.
Aujourd’hui je ne sais pas trop où tu es, je n’aime pas trop ça. Je ne t’entends vraiment plus du tout et ce n’est pas normal. Quoique…
J’espère que tu m’enverras mes nouvelles chaussures de randonnée pour qu’à mon tour j’emmène mes enfants admirer ce fabuleux paysage de beauté inouïe qu’est la haute montagne en été. Celle que tu aimais.
Depuis que tu as commencé ton carême, cette période après ton opération post AVC dans laquelle tu étais entre 2 mondes, tous mes souvenirs d’enfance remontent au fur et à mesure. Une odeur, une sensation, une vision, un ice tea, celui qu’on a bu après cette marche formidable qui avait duré des heures je ne sais plus où, toujours dans les Pyrénnées. Tu aimais la glace au gout menthe-chocolat et moi je t’avais commandé deux boules, une menthe et une chocolat et je m’étais trompée, j’avais eu honte car j’avais l’impression de ne jamais rien comprendre et de faire tout de travers. Moi qui voulais absolument te plaire. Tu vois le moindre petit souvenir remonte à la surface.
J’aimais bien quand plus tard tu venais à Paris voir papi et qu’on allait visiter des expo de photo tous les 2.
Tu m’avais dit que tu avais fait les mêmes images que Raymond Depardon et je sais que c’est vrai.
Sempé était ton copain et moi j’étais fan de son frère le dessinateur. Aujourd’hui si j’’écris c’est parce que les histoires de Goscinny avec qui Sempé dessinait, m’ont aidé à grandir. Et parce que le dessinateur Sempé avait le même nom que ce gars dont tu parlais tout le temps « Sempé a dit ceci, Sempé a fait cela ». Tu ne m’as jamais dit qu’il était le frère de cet homme dont les dessins ont bercé ma vie et ont aiguisé mon regard sur le quotidien, voilà encore une histoire qui s’imbrique. Dont tu en es l’origine…
J’ai été baptisée dans cette église. Plus tard, durant les nombreuses messes, car oui on allait à la messe le dimanche, j’observais ce monsieur là-haut, Saint Hilaire. Le revoir aujourd’hui, ça fait bizarre.
J’ai toujours pensé que la petite lumière là c’était papé qui jouait aux cartes avec ses copains.
Maintenant c’est toi qui es dans le ciel. Avec tous les autres.
Va vers la lumière papa, repose en paix. Et admire le paysage. Tu viendras me raconter comment c’est.
Je t’aime.
1937-2018